La baronnie de Behorlegi

La baronnie de Behorlegi

Arnaud Duny-Pétré


Le titre de baron de Behorlegi surprend aujourd’hui et l’on cherche en vain dans la commune un château ou ses ruines. Mais le titre de baron de Behorlegi existe bel et bien. En 1294, Martin Ximenez de Behorlegi est l’un des capitaines de Philippe 1er d’Evreux, roi de Navarre. La baronnie apparaît clairement pour la première fois en 1391: le roi de Navarre Charles III donne alors la baronnie de Behorlegi à Jean de Béarn, déjà gouverneur de Lourdes, qui est le mari de Jeanne, fille illégitime de Charles II. Jean de Béarn bénéficiait dès le 22 septembre 1380 « d’une rente assise sur la ville de Saint-Jean-Pied-de-Port », il reçoit également un poste important : la châtellenie de Rocafort dont les ruines existent toujours, entre Isturitz et St Martin d’Arberoue. A la mort de Jean de Béarn en 1409, Joanicot de Béarn hérite de la baronnie jusqu’à son décès en 1418. Elle échoit ensuite à doña Blanca, fille de Joanicot de Béarn et de Jeanne de Navarre (fille naturelle du roi). A partir de 1425, elle tombera entre les mains des Beaumont, puissante famille navarraise dont le choix politique en faveur du roi d’Espagne sera fatal à la souveraineté du petit royaume pyrénéen.

Jean de Béarn, futur baron de Behorlegi, était présent le 27 février 1385 à Iruña, pour la signature du traité de paix entre les familles de Luxe et de Gramont —alors en lutte— et imposé par le le roi Charles II de Navarre. Ce traité ordonne la construction de la chapelle de Saint-Antoine, près du col d’Osquich, bien connue en Pays Basque et qui fait l’objet d’un pèlerinage annuel très fréquenté.

En 1739, un François-Joachim de Beaumont détient toujours le titre de baron de Behorlegi et un acte notarié du 4 janvier 1789, dont on lira le détail dans le chapitre de cet ouvrage « Des archives nous parlent », fait état de démarches entreprises par un sieur de Beaumont, baron de Behorlegi et résident en Haute-Navarre. Il fait valoir ses droits sur un moulin de Behorlegi et surtout les émoluments qui en découlent et que doivent lui verser les habitants. Aujourd’hui, sur la place de Lekunberri, se trouve la maison Barondegia (photo 44), appartenant autrefois au baron et où logeait son fermier au XVIIIe siècle.

Les armoiries de la baronnie sont les suivantes: de gueule à cinq fleurs de lys d’argent posées en sautoir (1). 

Armoiries de la baronnie au fronton de la maison Barondegia à Lekunberri

 
Barondegia etxea Lekunberrin

Droits et devoirs

Quel est le contenu de ce titre nobiliaire navarrais ? Il est perpétuel et héréditaire ; le baron perçoit un impôt auprès de la population du lieu ; il exerce sur les habitants un pouvoir judiciaire, défini comme la basse, moyenne et haute justice. Perception fiscale et justice sont les deux compétences que délègue le monarque à son baron. Il lui attribue des revenus en échange d’une prestation, mais surtout fait du baron son obligé. Le pouvoir judiciaire exercé par le baron a toutefois une limite : en appel, le châtelain de Saint-Jean-Pied-de-Port nommé par le roi et la Cour de justice de Navarre à Iruñea, est souverain.

En matière fiscale, les habitants de la baronnie de Behorlegi demeurent exempts des impôts à caractère extraordinaire, sollicités par exemple en cas de guerre. Toutefois, en 1497, le roi tentera de faire payer aux habitants des impôts supplémentaires. Sans y parvenir. Le baron de l’époque, Martin de Beaumont, demandera à la Cour du royaume l’application de cette exemption fiscale dont bénéficie sa baronnie, au même titre que celles, par exemple, de Luxe et d’Agramont. En 1503, la baronnie de Behorlegi rappelle encore cette exemption qui visiblement passe mal aux yeux du roi de Navarre en pleine tourmente militaire et politique, et dont les besoins financiers sont considérables pour sauver sa souveraineté.

Nobles éleveurs de cochons

Cette pratique de nomination d’un baron est courante, en particulier en Basse-Navarre. Il s’agit du système des afièvements royaux constituant une des sources de la féodalité et des liens de dépendance et d’interdépendance qui en découlent. A l’époque, le roi peut ainsi inféoder ou «acenser» des biens de la couronne, distribuer des rentes, des pâturages et des terres du domaine, concéder des dîmes et des offrandes, aliéner des justices. Nous sommes à Behorlegi dans ce dernier cas de figure. Le roi a besoin de pouvoir compter sur la fidélité de populations ou de cadres politiques, dans une province située au nord, sur les marches de son royaume. La Basse-Navarre est ainsi la région où le nombre de familles nobles est deux fois plus important que dans le reste du pays. Plusieurs grandes familles bénéficient de ce titre : les barons de Luxe et d’Agramont, les Echaux, Garro, Ezpeleta, etc. D’où un enchevêtrement de droits, des rivalités et des conflits, en particulier pour la gestion des terres communes, «les terres vaines ou vagues» qui au départ, sont gérées par la collectivité locale, mais sur lesquelles le seigneur ou le roi ont des visées, il veulent exercer certains droits.

A noter que les grandes familles nobles de Basse-Navarre sont d’abord agriculteurs et éleveurs. Comme le rappelle Arnaud d’Oihenart dans son recueil de proverbes (Atsotitzak, 1657) : «Jauregik jaka bete xingolaz, barnea eztupa et’arkolatz»... La puissante maison des Gramont, possède au Moyen-Age un élevage de plus de 400 cochons, dans un pays où il s’agit d’une des principales ressources économiques. En 1381, la province compte plus de 10.000 porcs.

Hommes libres, de «franche condition»

Que l’on ne s’attende pas à trouver à Behorlegi un château féodal où vivrait grassement un baron, tirant ses revenus d’une multitude de serfs qui cultiveraient toutes les terres aux alentours. Cette image véhiculée par l’historiographie française et son roman national que nous avons appris à l’école, n’a pas lieu d’être en Pays Basque. La forme de féodalité que nous connaissons dans notre pays coexiste avec un autre système. Comme les autres provinces basques, la Basse-Navarre est pour l’essentiel un pays de franc alleu, c’est-à-dire de «laboureurs» qui exercent sur leurs biens un droit de propriété pleine et entière, ce sont des hommes et des femmes libres, ou plutôt des maîtres et des maîtresses de maisons qui siègent aux divers échelons des assemblées locales, de villages, de pays ou de vallées. Les structures agraires qu’ils cultivent sont franches de sujétions seigneuriales ou royales. Un autre chapitre de ce livre aborde la question des maisons ayant des statuts différents, laboureurs du roi, fivatiers et infançons, ainsi nommées dans le monnayage de 1350.

Ce système du franc-alleu est un des fondements du royaume de Navarre et des institutions de la monarchie. Il est garanti dans le texte des fors préservés et jurés à chaque avènement par le roi. Jusqu’à la révolution de 1789, les Bas-Navarrais n’ont cessé de défendre ce système, tel un principe irréductible, contre tout empiétement royal.

(1) Le lys n’a ici rien à voir avec celui des armes de la couronne de France. Déjà présent chez les Grecs anciens, il devient un symbole de fécondité dans la tradition chrétienne. Puis le lys figure dans les armoiries de nombreuses familles à travers l’Europe. Présent dans l’iconographie religieuse, il est l’un des symboles associé à la Vierge Marie, d’où son appellation de lys de la Vierge ou lys de la Madone. 


Article réalisé entre autres à partir de l’ouvrage de la directrice des Archives de Navarre, Susana Herreros Lopetegui : Las tierras navarras de Ultrapuertos, siglos XII-XVI, 1998, 360 p. Article du Dr Clément Urrutibehety, Coexistence de la féodalité et du franc-alleu en Basse-Navarre, Société des sciences lettres et arts de Bayonne, n° 129, 1973, pp. 93-125. Jean-Baptiste Orpustan, La Basse-Navarre en 1350, VII. -Synthèse, ou esquisses pour un portrait du Pays Basque médiéval, Bulletin du Musée basque, 3e trimestre 1980, n° 90, pp. 169-205. Eta azkenian, Xipri Arbelbide, Garazi, Elkar, 195 o.,1984.

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